V60

À mesure qu’elle faisait tournoyer la théière au-dessus de cette étendue de sable volcanique, je respirais les émanations délicieuses d’un fruit maltraité. Pendant ce temps, son amie faisait s’entrechoquer deux gros glaçons, aussi transparents que la tasse. La cafetière V60, gorgée de vapeur, m’attendait enfin sur la grande table en bois. Ce volcan endormi contenait l’un des trésors boliviens les plus précieux : un café parfaitement exécuté. On pouvait voir la lumière traverser ce verre et en ressortir des rayons orangés et bruns. Un vin venu d’une autre planète, tout aussi difficile à apprécier. Une amertume ne laissant place au plaisir qu’après de nombreux essais. Un magma refroidi par un glacier sublimé. Cet écosystème hostile m’offrait le droit d’être inactif le temps de quelques gorgées.

Le café est un de ces moments où l’on ne culpabilise pas de sa paresse. Dans notre établissement, vous serez constamment dans cet état. La sensation délectable et éphémère d’un instant de vide intellectuel, procurée par un plaisir tout aussi rempli, vous fera baigner dans l’insouciance et le bien-être mal fondé. Vous aurez l’impression d’être actif, de ne pas être seul parmi tous ces vénéridés pleins de velléités, rampant autour de vous.

Notre menu comprend un autre choix : une tasse posée sur une table recouverte de feuilles de papier. Des leçons de torréfaction, une lettre d’excuses que je n’ose pas lire, et un papier brunâtre. Il y a mon nom dessus, le sien aussi y est inscrit. Le café est laissé toute une nuit à l’air libre, un voile de poussière d’été le recouvrant. Je navigue souvent dans cette tasse. Chaque jour l’éloigne un peu plus de mes lèvres. Avec l’oisiveté pour seul phare, je rame péniblement dans cet océan traître, noir et incertain. Le sel et les vagues ont disparu, le vent s’en est allé, et la chaleur écrasante du soleil n’est plus. Qu’il est agréable de voguer sans encombre et sans destination !

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